Service militaire
Le service militaire est une période passée au service de l'armée d'un pays. Il évolue profondément, à l'échelle mondiale, à partir du XIXe siècle, en raison du développement de la conscription. Le service militaire, obligatoire ou volontaire, est une période de formation physique et psychologique qui peut être volontaire ou obligatoire, qui influence également l'ensemble du corps social au XXe siècle. Cette contrainte de participation aux forces armées peut être rejetée pour des raisons, religieuses, philosophiques ou politiques par objection de conscience ou insoumission. Initialement ne touchant que la jeunesse masculine, ce service national s'ouvre progressivement à la participation féminine dans certains pays au début 21e siècle.
Histoire
[modifier | modifier le code]Rome antique
[modifier | modifier le code]Du Ier siècle au IIIe siècle l'armée de Rome avait un recrutement très sélectif : cinq ou six hommes étaient admis sur 200 à 300 personnes qui se présentaient. Les soldats choisis étaient les meilleurs physiquement, mais ils devaient également savoir parler latin ou ne pas être esclaves. Être soldat est alors bien vu : « devenir soldat était un privilège très recherché. Cela offrait une position sociale respectée ainsi qu’un salaire régulier. ». L'entraînement dure quatre mois, le soldat s'entraîne ensuite régulièrement, et maintient notamment sa force physique[1].
Révolution de la conscription
[modifier | modifier le code]La révolution française met en place une forme nouvelle de citoyenneté, fondée en partie sur l'impératif de la défense de la patrie. Ce modèle français — le soldat-citoyen des levées en masse révolutionnaires, puis de la Loi Jourdan-Delbrel — est repris en Prusse en 1814, associé à la création de la forme moderne de l'État, puis en Italie, en Russie et en Belgique, ensuite au Paraguay décimé par le conflit de la triple alliance, et enfin au Japon en 1872[2].
À partir du XIXe siècle, le service militaire combiné à la généralisation de la conscription entraîne un processus mondial de mobilisation militaire des sociétés, en temps de guerre comme en temps de paix[3].
Le service militaire fondé sur la conscription s'oppose au modèle de recrutement « anglo-libéral » fondé sur une organisation locale et sur le volontariat, à quelques exceptions près. Ainsi, les États américains expérimentent la conscription lors de la guerre de Sécession. Cependant, le Royaume-Uni, puis la Nouvelle-Zélande, le Canada et les États-Unis imposent le service militaire masculin au cours de la Première Guerre mondiale[4]. Cette tendance s'accentue lors de la Seconde Guerre mondiale, et « entre 1940 et 1945, le taux de militarisation des nations en guerre franchit de nouveaux records », puisque 87 millions d'Occidentaux, notamment, sont incorporés dans l'armée[5].
Déclin progressif
[modifier | modifier le code]Le service militaire, au service d'une armée de masse permanente, connaît un déclin progressif, notamment après 1962 — la guerre d'Algérie a cependant mobilisé 1,2 million d'appelés français — et surtout 1975, alors que la Guerre du Viêt Nam a causé la mort de 58 000 conscrits américains. À l'exception notable d'Israël, les armées des démocraties se professionnalisent, et se féminisent en partie[6].
Pour l'historienne Odile Roynette, cette évolution ne permet cependant pas de conclure « à un mouvement général de déliaison entre l'armée et la société, et à une démilitarisation, reléguant dans le passé le modèle du soldat-citoyen »[7].
Réintroduction
[modifier | modifier le code]À partir de 2014, certains pays ont réintroduit le service depuis l'annexion de la Crimée par la Russie : l'Ukraine en 2014, la Lituanie en 2015, et la Norvège pour les femmes. La Suède le fait par la suite, et la France introduit le SNU en 2019[8].
Le retour de la guerre en Europe avec le conflit Russo-ukrainien en 2022 et ses risques d'extension a remis en avant le domaine de la Défense nationale comme un enjeux de souveraineté. Cela entraine les réflexions en Europe sur la relance de la conscription et du service militaire incluant aussi la participation féminine[9].
Discipline, endurance et techniques du corps
[modifier | modifier le code]Les techniques du corps d'origine prussienne, notamment la marche au pas cadencé, l'apprentissage de la cohésion en ordre serré, et les épreuves physiques en général constituent dès le XIXe siècle le moyen de la discipline, destinée à « façonner un homme redressé par l'instruction militaire initiale »[10],[11].
La brutalité physique doit contraindre les hommes pour permettre l'acquisition d'automatismes, par la longue répétition des mêmes gestes ; elle met en scène une économie corporelle fondée sur la complémentarité de l'homme et de son arme, et établit un certain nombre de représentations : la verticalité du soldat témoigne de sa droiture morale, son immobilité est le signe du contrôle des émotions, la précision des manœuvres évoque un sentiment de cohésion et de solidarité[12].
L'expérience des guerres entraîne une évolution progressive du modèle : après la guerre franco-prussienne de 1870, l'accent est mis sur la gymnastique, la boxe et l'escrime, afin de développer la souplesse du combattant. La guerre russo-japonaise de 1904-1905 entraîne une inflexion de la formation du soldat, en Europe, vers une meilleure prise en compte de la mobilité individuelle du combattant, de la pratique du tir en position couchée, du déplacement sur des terrains variés. Ces évolutions ne détrônent pas pour autant les manœuvres en ordre serré, qui garantissent un fort degré de coercition dans la formation militaire[13].
L'exercice physique de la marche, avec une charge moyenne d'une trentaine de kilos, doit développer l'endurance du fantassin. Au-delà de l'endurance physique, il importe que celle-ci soit également morale et psychologique. L'entrainement des marines américains au milieu du XXe siècle mêle « épuisement physique [et] harcèlement moral, afin d'éprouver leur capacité à souffrir et, par conséquent, leur puissance potentielle »[14].
Former la société
[modifier | modifier le code]Progressivement, le service militaire devient un « rite de passage vers l'âge adulte, [...] une école de la masculinité, dispensatrice de discipline, d'ordre et de vigueur »[5].
Il s'inscrit d'abord dans un maillage du corps social sur la longue durée : les organisations de jeunesse précèdent le service militaire proprement dit, les associations de vétérans le complètent. Dans l'Allemagne de 1913, les premières comptent 700 000 jeunes, les secondes trois millions de vétérans[5]. Au Royaume-Uni, le général Baden-Powell crée en 1907 un premier camp d'entraînement pour la jeunesse, avec « l'idée d'une préparation sportive et militaire susceptible d'enrayer un prétendu déclin de la race », et le mouvement boy-scout est fondé un an plus tard. En 1914, 41 % des jeunes britanniques sont membres d'une organisation de jeunesse[5]. Dans la République de Weimar, alors que l'armée est limitée à un effectif de 100 000 soldats, les associations de vétérans recensent presque trois millions d'hommes en 1930, alimentant la Reichswehr noire[5].
Les régimes totalitaires des années 1930 poussent ensuite ce maillage du corps social à l'extrême, réalisant un « effacement de l'individu derrière la communauté nationale » au nom d'une fusion entre l'armée et la société civile. Un employé japonais aux affaires militaires, en 1939, témoigne :
« En temps de paix, comme en temps de guerre, il fallait être parfaitement au courant de la situation de chaque individu, les connaître tous, y compris les jeunes du village. [...] Quand un homme entrait pour la première fois dans l'armée, tout était déjà enregistré, y compris ses pensées »[5].
— Degun Shigenobu
École de virilité
[modifier | modifier le code]Le service militaire est généralement promu comme l'accession à une nouvelle norme de virilité[15], qui irrigue profondément les sociétés à partir du XIXe siècle[5] : « Les valeurs de loyauté, d’honneur et de courage fusionnent dans un idéal de patriotisme viril »[16].
Jusque dans les années 1960, se déroulait le conseil de révision, la plupart du temps à la Mairie de la ville ou du village. Les "Conscrits" étaient regroupés, en très petite tenue, pour ne pas dire nus, et étaient pesés, mesurés, questionnés médicalement... Après cette formalité, le conscrit était fier d'être reconnu "Bon pour le Service". Il s'en suivait quelques manifestations[réf. nécessaire]
Une coutume voulait que le conscrit libérable se taillât une quille qu'il décorait librement. Cette expression : « La Quille ! » désignait ainsi la fin du service national et le retour à la vie civile.
Après 1975 cependant, la professionnalisation comme la féminisation des armées « semblent remettre en question le prestige du mythe militaro-viril et son enracinement dans la société »[17].
Participation féminine
[modifier | modifier le code]Au cours des temps les forces armées s'appuient principalement sur la division des rôles : masculin pour les combats, féminin pour participer en seconde ligne en support. Les femmes font et élèvent les enfants et assurent la disponibilité des combattants futurs.
Depuis la Révolution française, la place des femmes évolue progressivement. Elles sont intégrées en premier aux unités auxiliaires.
Si quelques femmes ont combattu pendant la Première Guerre mondiale, c'est vraiment à partir de la Seconde Guerre mondiale qu'elles peuvent s'engager. La féminisation des armées est en hausse depuis la fin des années 1990. En 2019, l'armée française était féminisée à 16,1 %, les armées allemande et britannique à environ 10 %[18].
En 2006, la république populaire de Chine, la république de Chine (Taïwan), la Corée du Nord, l'Érythrée, Israël, la Libye, la Malaisie et le Pérou demandent aux femmes de servir dans l'armée[19].
L'extension du service militaire obligatoire aux femmes est décidée dans les pays scandinaves à commencer par la Norvège par un vote de 2013, il est mis en place en 2016, puis par la Suède en 2017, suivi par le Danemark, en 2025. Les appelés du Danemark sont sélectionnés par tirage au sort[20].
À l'année 2025, en finlande, en Estonie, en Grèce, à Chypre, en Autriche, en Suisse, en Lituanie, en Lettonie, le service militaire est volontaire pour les femmes[9]
Situation par pays
[modifier | modifier le code]Alternatives
[modifier | modifier le code]Objection de conscience et insoumission
[modifier | modifier le code]Références
[modifier | modifier le code]- ↑ Manon Meyer-Hilfiger, « Apogée de l’Empire romain : les secrets de son armée », sur nationalgeographic.fr, .
- ↑ Roynette et Cabanes 2018, p. 260.
- ↑ Roynette et Cabanes 2018, p. 259.
- ↑ Roynette et Cabanes 2018, p. 260-261.
- Roynette et Cabanes 2018, p. 261.
- ↑ Roynette et Cabanes 2018, p. 266.
- ↑ Roynette et Cabanes 2018, p. 267.
- ↑ (en) « European countries rethink military service amid Ukraine war », sur euronews, (consulté le )
- « Service militaire : que font nos voisins européens ? Tour d’horizon des pays qui maintiennent, rétablissent ou réinventent la conscription », sur LeMonde.fr avec AFP, (consulté le )
- ↑ Roynette et Cabanes 2018, p. 262.
- ↑ Jean-Marc Largeaud, « Odile ROYNETTE, "Bons pour le service", l'expérience de la caserne en France à la fin du XIXe siècle en France. Paris, Belin, 2000, 458 p. », Revue d'histoire du XIXe siècle. Société d'histoire de la révolution de 1848 et des révolutions du XIXe siècle, no 23, , p. 279–280 (ISSN 1265-1354, lire en ligne, consulté le ).
- ↑ Roynette et Cabanes 2018, p. 262-263.
- ↑ Roynette et Cabanes 2018, p. 263.
- ↑ Roynette et Cabanes 2018, p. 264.
- ↑ Claire Fredj, « Odile Roynette, Bons pour le service; l'expérience de la caserne en France à la fin du XIXe siècle », Histoire, économie & société, vol. 21, no 1, , p. 122–124 (lire en ligne, consulté le ).
- ↑ Bounthavy Suvilay, « Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine, Georges Vigarello (dir.), A History of Virility », Lectures, (ISSN 2116-5289, lire en ligne, consulté le ).
- ↑ Roynette et Cabanes 2018, p. 266-267.
- ↑ « Les femmes dans les armées », sur cheminsdememoire.gouv.fr.
- ↑ (en) « Women in the military — international », sur cbc.ca, .
- ↑ « Le Danemark rend le service militaire obligatoire pour les femmes face à la menace russe », franceinfo.fr, 3 juillet 2025.
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Alain Ehrenberg, Le Corps militaire : Politique et pédagogie en démocratie, Paris, Aubier, , 212 p. (ISBN 978-2700703153).
- Philippe Catros, « Annie Crépin, Histoire de la conscription », Annales historiques de la Révolution française, no 362, , p. 179–180 (ISSN 0003-4436, lire en ligne, consulté le ).
- Georges Vigarello, Le corps redressé : Histoire d'un pouvoir pédagogique, Du Felin, , 448 p. (ISBN 978-2866458690).
- Odile Roynette, "Bons pour le service", l'expérience de la caserne en France à la fin du XIXe siècle en France : l'expérience de la caserne en France à la fin du XIXe siècle en France, Paris, Belin, , 458 p. (ISBN 978-2410006063).
- Odile Roynette et Bruno Cabanes (dir.), Une histoire de la guerre, Paris, Seuil, , 792 p. (ISBN 978-2-02-128722-6), « La fabrique des soldats », p. 259-268.